Le Joe Bar Team

« Je pisse sur les twins poussifs et les cylindres à trous qui puent ». Je suis sûr que comme moi quand tu entends cette phrase, tu vois Ed’ La Poignée accoudé au zinc. Et tu souris.

Le Joe Bar Team pour les motards c’est un peu comme Star Trek pour les geeks. Ou comme Des chiffres et des lettres pour les plus de 80 ans. Souvent imité, jamais égalé. C’est de la culture commune. Je dirais même que c’est le B.A.BA. Faut dire que le format bande dessinée y a pas mieux pour se faire une culture G motarde rapidos. C’est fastoche à lire et une fois que tu as bien mémorisé les motos (vachement bien dessinées), tu peux te la péter avec les connaisseurs. 

Et puis les cases et les bulles c’est super pour les gosses. Mon premier Joe Bar Team, je m’en souviens comme si c’était hier. J’avais 9 ans et c’est Mus – mon grand-père de cœur – qui me l’a offert. Son fils tenait à l’époque un petit garage moto au pied des Alpilles (« Karim moto » pour ceux qui l’auraient connu), un bouclard façon « Cri Cri Moto », disparu comme tant d’autres sur l’autel du tout commerce. Mais ce n’est pas le sujet. Là je te parle de comment on se fait une éducation motarde. Toutes les deux cases, je devais demander à mon père la traduction de ces mots bizarres : Dis Papa, c’est quoi « l’Ile-de-Man » ? C’est une île paradisiaque où on roule à gauche et la poignée en coin. Dis Papa, c’est quoi une « arsouille » ? C’est quand tu fais de la moto avec tes copains et que tu ne dis pas à maman à quelle vitesse tu as roulé. Dis Papa, c’est quoi une Ducati ? C’est une belle moto rouge en panne. C’est comme ça que j’ai pu apprendre dès le plus jeune âge cette chère mauvaise foi motarde – T’attaquais, toi ? – et les fameux clichés associés à chaque marque. Comment ça, une Harley ça ne sème pas ses boulons ?

J’ai profité d’un retour chez mes parents pour me replonger dans mes vieux albums. Et c’est fou mais plus je vieillis, plus ils me font rire. Gamin je ne faisais que du tout-terrain et il faut attendre le tome 4 pour voir la nouvelle génération du JBT se mettre au trial. C’était alors mes gags préférés. Puis en grandissant, j’ai découvert les joies du bitume, le volume 2 est aussi indispensable pour nos années « mob’ » que pour le grand moment du permis de conduire. Ce fut longtemps mon favori, celui que j’amenais de partout. Avec mon Freewind je me sentais un peu Paulo les Gaz, prétextant comme lui le manque d’allonge de mon mono chaque fois que je me faisais pourrir. Ah la mauvaise foi… Puis en arrivant sur Paname, c’est avec un regard neuf que j’ai relu certains gags, notamment les fameux 400 mètres départ arrêté qui ne se pratiquaient pas dans mon village faute… de feux rouge ! Puis, après m’être planté dans une voiture, j’ai aussi compris qu’il n’y avait que des personnages en papier comme eux pour se prendre autant de gamelles, rater autant de virages, tomber dans autant de ravins et s’en sortir (presque) entiers. Contrairement à leurs meules d’ailleurs, qui se font broyer toutes les deux pages : imagine un peu le budget réparation… Et je ne te parle pas de leur permis à 3000 points, pour n’être toujours pas en taule après 8 albums. Ils en ont de la chance d’être en papier !

Contrairement à certains qui ne jurent que par le premier tome – celui avec les « vieilles », qui est en effet le meilleur des meilleurs – j’aime aussi l’univers de Fane. Faut dire que je m’identifie plus facilement aux « p’tits jeunes » de la bande, question de génération sûrement. Bien sur, tout n’est pas à hurler de rire dans les Joe Bar Team. Il y a même des albums qui ont été franchement ratés. Tiens, le 5, une vraie arnaque. Bar2 de retour aux crayons, tu t’attends à un feu d’artifice et tu te retrouves avec des planches seulement sur le recto, le verso étant meublé par ses brouillons. Sympa mais ça reste une moitié de BD… et pas à moitié prix. Cela dit, les gags étaient réussis. Là où j’ai eu très très peur, c’est avec le 7. Renouveler les montures était une bonne idée, mais leurs traits étaient bâclés, les blagues trop souvent téléphonées. Je me suis dit que c’était foutu, on ne sentait plus la passion, plus l’amour du dessinateur pour ses héros et leurs motos. Ça puait la BD à pognon. Puis voilà que pour Noël sort le 8 accompagné de tout son tapage publicitaire. Je décide de le boycotter. Na. Je me suis surpris à penser « de toute façon, c’était mieux avant ». Ciel, je suis déjà un vieux schnok.

Sauf que l’autre soir, je me retrouve à attendre mon frangin à la gare d’Austerlitz. La SNCF avait son petit quart d’heure rituel de retard. Je rentre dans un Relay histoire de tuer le temps en lisant gratuitement le rayon des revues motos (qui ne l’a jamais fait ?). Je tombe bizarrement sur le tome 8 du JBT coincé entre deux Picsou Magazines. Oui, je lis aussi les Mickey Parade à l’œil, ça te gène ? D’un air désabusé je l’ouvre. Tiens, mais c’est bien dessiné là. Je regarde la signature. Ah, Fane fait son come back. Bon point. Et son humour ? Première page. Je souris. Seconde page. Je pouffe. Troisième. Je ris.

J’ai acheté le dernier Joe Bar team.