« Tu me fais faire un tour, dis ? ». J’aurais peut-être dû jouer un peu moins sur la corde motard ténébreux quand je draguais ma copine. C’est comme ça qu’on s’est retrouvés comme deux guignols sur mon 125 DR, équipés de bric et de broc. Première fois qu’une fille montait derrière moi, première fois qu’elle montait derrière un mec. Evidemment, j’ai voulu lui montrer les beaux points de vue de mon bled. Quel lover. Nous voilà donc partis cahincaha dans la garrigue. Il nous a fallu moins de trois kilomètres pour se prendre une gamelle, j’avais un peu présumé de la puissance de ma machine face à une « montée impossible » où je voulais faire de l’esbroufe. Elle se relève égratignée et pleine de terre. Aïe, aïe, aïe. « C’était génial ! » Ok, mon petit Cigalou, celle-là, tu feras la vaisselle et le ménage, mais faut qu’elle te garde

Quelques mois plus tard, on passait au gros cube. Je dis « on » car depuis cette aventure en 125, c’est en équipe qu’on concevait la moto. Elle m’a fait réciter mes fiches du permis et je crois que le jour J, elle stressait encore plus que moi. Dès que j’ai eu le fameux papier rose en poche, nous avons fait trois fois le tour de la Provence, commettant ensemble toutes les « erreurs de jeunesse » au guidon : arsouilles, sorties de route, re-arsouilles, erreurs de navigation, photos souvenirs avec les radars. Bien sur, il y eut quelques coups de boule sur des freinages un peu trop brutaux, quelques « je-me-raccroche-du-bout-de l’index » lors de démarrages un peu violents. Mais très vite, nous avons formé cet espèce d’être bicéphale que sont le/la pilote et son/sa passagère. Moi doublant, elle remerciant du pied la voiture dépassée. Moi mettant le ticket d’autoroute, elle récupérant la carte bleue. Moi faisant le plein, elle tenant la sacoche de réservoir. Moi hésitant à attraper les freins, elle m’éperonnant des genoux pour que j’accélère encore. Moi motard, elle motarde.

Ma gonzesse, souvent elle se plaint que je danse comme un pied (enfin, surtout que je ne danse pas du tout). Mais quand on est ensemble sur notre moto, c’est une valse entrainante que nous exécutons. Avec souplesse nos corps se penchent de concert à droite et à gauche, au rythme endiablé des virages. Cette chorégraphie millimétrée n’est rendue possible que par la confiance absolue qui doit exister entre nous. Quand je jette ma roue avant dans une épingle, je sais qu’elle ne me déséquilibrera pas. Quand j’accélère pour doubler une bagnole, elle sait que ça passera. Au lieu de faire des tests à la con dans Biba ou d’aller voir le psy, si tu veux savoir si ton couple fonctionne, va faire une balade à moto. Tu seras vite fixé.

Il y a presque pile un an, j’ai eu super peur. Ma gonzesse s’est mise en grève. Faut dire que je n’ai pas vraiment assuré sur ce coup là. En plein mois de décembre, un doux rayon de soleil hivernal illuminant l’appartement, je lui ai vendu une balade bucolique en Chevreuse, avec un chocolat chaud dans une taverne romantique à mi-parcours. Bien sûr, on serait rentré avant que le froid tombe. Sauf que je me suis paumé, qu’on a jamais trouvé ces foutus 17 virages, que tous les bistrots étaient fermés à part un PMU cradingue où on a pas osé s’arrêter et qu’on a fini par rentrer à la nuit – glaciale – par l’autoroute. Sorbet à peine vivant, elle m’a juré qu’elle ne remonterait plus jamais derrière moi. Alors ce fut un coup dur. Faire de la moto tout seul ? De temps en temps, j’dis pas, ça peut être sympa. Mais bordel, si la selle a deux places, c’est parce qu’à deux c’est mieux qu’à un, non ? Et puis, la moto c’est notre truc à nous. Y en a ils ont un chat, nous on a un V-Strom*. Ça fait moins de poils. Alors j’ai sorti le grand jeu pour qu’elle remonte en selle, je lui ai offert ce à quoi aucune fille ne peut résister. Tu l’as déjà compris, je lui ai offert… Comment ça une bague ? Meuh non, elle s’en tape des bijoux. Laisse moi finir : je lui ai offert un beau casque replica.

En tout, la grève de la passagère aura bien duré une semaine avant qu’elle ne craque et reparte balader à bécane. Une éternité…

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* A l’époque nous n’avions pas de chat. Maintenant oui et c’est quand même trop ‘gnon comme bestiole. Cela dit, ma moto n’a jamais pissé sur le canapé, elle.

8 Commentaires

    • Pour l’instant elle a failli passer par la fenêtre après une lâche tentative de pipi furtif sur ma veste de moto. Elle n’est pas prête d’avoir le droit de promener dans ma sacoche de réservoir du coup… 😉

  1. Sympa ce texte, faut que je le fasse lire à madame. Bon elle veut carrément la sienne (de moto) et c’est pas pour me déplaire. Pour le coup je fais aussi la vaisselle et même la cuisine (mais plus par peur qu’elle m’empoisonne pour me piquer ma meule). V

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