The last frontier. Ainsi surnomment les Alaskains leur Etat. La dernière frontière avant l’Arctique, avant les glaces, avant l’immensité. Avant la Russie aussi, ennemi tantôt fantasmé, tantôt réel, dont les côtes à l’ouest du détroit de Béring ne sont qu’à quelques coups de pagaies.
L’Alaska tient une place de choix au Panthéon des destinations légendaires. Après quelques jours à moto à travers cet Etat superlatif, j’ai pu saisir par fragments la fascination exercée par cette terre du bout du Nouveau Monde. On y part pour se déconnecter du bruit, pour se retrouver seul, pour se chercher intimement aussi. Pour ma part, j’y ai essentiellement cherché des stations essences.
Invité, donc, par des copains qui y gèrent une excellente boite de location de meules, et sous le prétexte fallacieux de devoir tester une nouvelle gamme de valises aluminium en conditions réelles, je débarque un beau matin d’été à l’aéroport d’Anchorage, après avoir passé la nuit dans l’avion avec mes bottes d’enduro au pied.
Nous sommes une quinzaine de lascars à avoir répondu à l’appel. Un français, un allemand, et des américains. Le problème avec les américains, c’est que non seulement ils se la racontent grave le soir au coin du feu, mais qu’en plus ils te mettent minable dès qu’ils sont en selle sur de la caillasse.
Le programme est simple. Quelques grosses étapes de liaison avec tous les bagages sur les larges pistes pour rejoindre différents camps de base, et des journées entières à rouler léger sur les single tracks dans la taïga. Le concept de journée au mois de juillet en Alaska est à prendre au sérieux. A cette latitude, il fait sombre environ deux heures par jour. C’est plutôt pratique et évite de se prendre les pieds dans les sardines de la tente après une soirée trop arrosée.
Je roule en Kawasaki KLR 650, un trail parfaitement adapté à cet environnement rude. Un copain me résume les qualités de la KLR après avoir failli noyer la sienne lors d’un passage de rivière : « easy to break, impossible to kill ».
Les journées de liaison doivent être abattues à bon train afin de couvrir de six cent à mille kilomètres par jour. Très rapidement à la sortie d’Anchorage, le bitume fait place à de la piste. De la belle piste large et gravillonneuse. La poussière soulevée par les machines oblige à rouler à plusieurs centaines de mètres les uns des autres. On y croise de temps en temps des véhicules improbables. Des trucks qui tirent trois remorques d’affilée. Des pères de famille au volant de caravanes au format container de quarante pieds qui tractent un pick-up dans la benne duquel sont rangés un quad et deux motos : sans doute la version américaine d’une semaine au camping de Soustons avec les gosses. Un camion d’expédition monté sur des roues d’un mètre de diamètre, conduits par un couple de retraités allemands sympa en train de se faire son tour du monde pendant cinq ans. Un 4×4 déglingué appartenant à vétéran rentré d’Irak avec du plomb dans la tête et qui depuis, trompe son marasme en traversant le continent d’une côte à l’autre
Mais le plus souvent on ne croise rien ni personne, pas même un ours ou orignal. Tu es tout seul, dans ta combi poussiéreuse, à ouvrir des yeux de gosse face aux paysages qui défilent. Et puis assez vite, tu prends goût à la piste, et tu t’amuses à mettre ta meule chargée à bloc de plus en plus en travers dans les rares virages. Et lorsqu’une glissade non-maitrisée mais récupérée par miracle manque de t’envoyer au tas, tu ralentis de suite le rythme en te rappelant qu’il peut potentiellement passer deux semaines avant que ta carcasse ne soient localisée dans un fossé par un hélicoptère de secours.
Nos camps de base s’appellent Copper River ou Gracious House. Ils sont gérés par des proprio qui n’échangeraient leur mode de vie pour rien au monde. C’est sûr qu’ils ne sont pas emmerdés par les voisins. Ils louent des emplacements de camping et de petites chambres aux touristes de passage, ainsi qu’aux employés des mines environnantes. Les uns comme les autres sont habitués à une vie rude, même en été.
Les gars des mines sont de sacrés ascètes, qui vivent en permanence dans les coins les plus reculés de la planète : Islande, Alaska, Terre de Feu. La paye est bonne. Mais l’isolement est incroyable. En rentrant un soir, nous négocions avec eux qu’ils aillent chercher en hélico une meule dont le moteur a rendu l’âme sur une petite piste étroite. Impossible d’y aller en 4×4, seul la voie des airs pouvait la tirer de là. Affaire conclue en échange d’une caisse de bières. Moi aussi, j’adore quand un plan se déroule sans accroc.
Au cours d’une étape de liaison, je m’arrête dans un bar pour me rincer le gosier de toute la poussière avalée. Le seul client, accoudé au bar, me lance sans même m’avoir regardé « Where are you from, stranger? ». Une mauvaise réponse et il aurait peut-être dégainé son Colt. Parce que tout le monde est armé en Alaska. Avoir un fusil mitrailleur sur la banquette passager du pick-up, c’est courant. « Les ours, you know ».
Le soir, autour d’un bon feu de camp, on partage les aventures et mésaventures de la journée avec la mauvaise foi habituelle. Ce sont de grands moments, allant du tir de patates explosives au concours de saut en moto au-dessus du feu. Et lorsque la fatigue et les pale ale finissent de nous achever, on s’écroule dans son duvet, la tête recouverte d’un pull pour essayer de ne plus voir cette satanée clarté.
Les journées les plus amusantes sont celles pendant lesquelles on part à l’aventure sur les multiples petites pistes alentours. Des rivières à l’eau bleue émeraude provenant directement des glaciers, aux hardes de caribous qui traversent les vallées par centaines, l’émerveillement est continu.
Le sol est gelé en permanence quelques centimètres sous la surface, c’est le fameux pergélisol. En conséquence l’eau ruisselle sans s’infiltrer et de larges mares de boues transforment parfois les chemins en passages vraiment techniques. J’ai bu la tasse plus d’une fois, perdant la roue avant et mon honneur dans la bouillasse molle et humide. Dès lors les copains viennent à la rescousse, et les meules sont passées l’une après l’autre, poussées et portées par plusieurs paires de bras. En fin de journée, les visages sont crottés, les traits tirés mais rayonnants.
Un matin à 11 heures, heure locale, se joue au Brésil la finale de la coupe du monde de football : l’Allemagne contre l’Argentine. Mon collègue allemand tient absolument à voir le match. La perspective d’une assiette de French fries achève de me convaincre. Nous nous mettons en route à la fraîche à travers les montagnes Chugach et à peine quatre heures plus tard, nous voilà arrivé à un pub de Valdez, gros port halieutique et commercial construit au fond d’un fjord. Les eaux ne gèlent pas à Valdez durant les mois d’hiver, ce qui en fait un point de ravitaillement crucial pour la région. Après un burger et une défaite, nous nous remettons en route pour rentrer au bercail. Un petit aller-retour au pub, huit heures de route, et hop la journée est déjà finie. Comme quoi la distance, ça simplifie sacrément l’organisation des activités.
Une autre journée d’aventures nous amène à l’ancienne mine d’or de Nabesna. Nous roulons pendant quelques heures à travers les monts Wrangell pour atteindre le pied de la montagne Blanche, sur le flanc de laquelle la mine a été creusée. Rien qu’en étudiant les cartes, j’avais le sentiment de partir à l’assaut de Minas Tirith. Abandonnée depuis 1947, la mine et les baraquements des mineurs offrent un voyage dans le temps depuis la ruée vers l’or jusqu’à la fin de la guerre froide, car la mine fut utilisée comme cache militaire par l’US Army. Tout est accessible à ses risques et périls. Les planchers qui grincent et les plafonds effondrés font partie du charme de l’endroit. Depuis cent ans, la mine est à flanc de montagne, et elle y restera certainement pendant encore quelques siècles.
Ainsi va la vie en Alaska, au rythme des glaciers, des gisements de pétrole off-shore, des hordes d’orignaux, des campements perdus dans l’immensité de la taïga, des rivières larges comme des stades olympiques, et des aventuriers à moto !
salut L
ENORME . C’est le genre de trip que j’aurais bien fait ….ouais mais y’a 30 piges ….dommage.
Ce n’est pas de la fausse modestie ( dépourvu je suis de ce penchant) mais du réalisme : après 6 jours de piste pas trop dures mais parfois techniques ( 230/jour) je me suis rendu compte que je n’aurais pas fait plus de 2 ou 3 jours encore !!!
en tout cas merci pour le récit…
Si il y a des catégories papy peut etre ???
j’ai connu des gus qui ont fait des rando à pinces sur un mois en solo là bas .
nazdrove
Superbe aventure Louis, ça fait réver.
Merci de nous faire partager tes aventures