C’est l’histoire d’un mec que rien ne prédisposait à la moto. Il était taillé comme un de ces menhirs bretons qui l’ont vu grandir. Son truc à lui, c’était la boxe. Prendre des coups, en donner. Sa façon d’exorciser sa timidité aussi grosse que ses biceps. Pas le genre à faire de l’équilibrisme sur deux roues comme ces marioles casqués. Au contraire, c’est tout seul, bien assis dans sa puissante bagnole allemande, avalant les bornes au son de sa BO d’électro, qu’il concevait le voyage.
Puis un jour il a rencontré une motarde. Et là ce fut le coup de foudre. Enfin, avec la motarde je ne sais pas mais avec la 350 XT qu’elle conduisait, il s’est clairement passé quelque chose. Lorsqu’il l’a enfourchée dans un champ (la moto hein), un immense frisson lui a parcouru l’échine. Avec un peu d’appréhension, il kicke une fois. Non, là tu as raté le point de compression. Il re-kicke, et là le pom-pom-pom du mono se met à ronronner dans la campagne. Il sent les vibrations de la petite machine remonter jusqu’à son cœur qui se met à battre au rythme du piston. Il passe la première, lâche l’embrayage et… cale. On recommence. Cette fois c’est la bonne, il est parti. On le voit faire ses dix premiers mètres d’un équilibre hésitant, un vrai Bambi de 90kg. Et soudain il s’arrête. Merde, il a encore calé ? Non, c’était pour se tourner vers nous, un immense sourire dépassant du casque : « P’tain, c’est trop bon ! ». Il était devenu un motard.
Devenir motard, c’est comme l’amour avec un grand A, ça ne se commande pas. Ça peut te tomber dessus de mille et une façons. Parfois, c’était écrit d’avance, comme pour moi qui ai tété du Super dans mon biberon. Parfois au contraire, c’est par esprit de défi, le plaisir de séduire, avant de se surprendre à aimer vraiment. Pour certains, ça frise la rencontre arrangée, le plan meetic à deux balles : quand t’achètes un scoot’ pour aller bosser et que ce deux-roues pratique devient objet de plaisir. En parlant de plaisir, d’autres l’aimeront bien dure, en cuir et à plusieurs, 50 nuances d’Harley en somme. Ça peut aussi être une romance de lycée, commencée sur une vieille mob’ trafiquée, avant de passer sur gros cube.
Bien sur, l’amour, ça ne marche pas toujours. Il y en a pour qui ce sera juste le temps d’un été passionné sur le bitume chaud. Certains se quitteront alors que personne ne s’y attendait. Le poids des ans, les problèmes de pognon, ce genre de choses qui peuvent briser une idylle. Pour d’autres, ça restera un PCR (« Plan Culasse Régulier »), retrouver discrètement sa bécane pour un p’tit coup vite fait bien fait. Mais pour beaucoup d’entre nous, ce sera le grand truc, l’amour à vie, inconditionnel.
Pour mon pote, c’est devenu de plus en plus sérieux comme histoire. Tellement que même après que ça se soit terminé avec la motarde, sa passion pour la moto est restée. Comme toi, il a réalisé qu’il avait ce gène mutant qui fait que tu es comme tout le monde, mais avec un petit quelque chose en plus (ou une petite case en moins, ça dépend des points de vue). Certes, niveau pouvoirs, il n’a pas de lames qui se sont mises à pousser à la place des ongles, pas plus qu’il n’a déclenché des tornades avec ses cheveux ou s’est mis à péter des boules de feu. Ça peut paraître banal à côté de ces prétentieux de chez Marvel, mais mon pote, c’est devenu un XT-Men. Et pas besoin d’un slip rouge ou d’une cape en ailes de chauve-souris pour le reconnaître dans un rassemblement moto. Il est généralement le seul à être au guidon d’un vieux 600 XT à kick. Un modèle hideux, dont le vert pastel associé à un bleu violacé rend l’ensemble tout simplement à gerber. C’est un de ces crimes contre le bon goût que seules les années 90 pouvaient réussir à nous pondre. Et pourtant, quand tu l’écoutes parler de sa meule ou quand tu le vois la dévorer des yeux, il finit par te convaincre de la trouver belle.
Et, ça, y’a pas photo, c’est un vrai super pouvoir.
Normal: avec l’XT ça fait toujours ça! J’ai passé mon permis la dessus et hors mis que c’était pas à ma taille j’ai adoré… depuis je rêve d’un pocket-trail…(la GS rabaissée d’usine pourrait être un bon choix… sauf pour le banquier!)
Un type de 2nd degré difficile à manier. Certains, beaucoup, n’arrivent pas à échapper à la lourdeur, cédant à la facilité plutôt qu’à la subtilité. Mais là C’EST TROP BON (comme d’hab) ! Et c’est vrai en plus…
Moi c’était plutôt écrit dans le marbre que je ne monterai jamais sur une moto et au final c’est peut-être un peu par esprit de défi allié à une curiosité enfouie qui fait que maintenant c’est foutu, la moto c’est ma vie 🙂
Et comme dit quelqu’un qui dit souvent des trucs pas trop idiots :
« C’est ce que ne pourront jamais comprendre les arpenteurs de métro, soucieux de l’efficacité et du confort d’une ligne automatique. Ils ne peuvent pas comprendre qu’avoir chaud, avoir froid, se mouiller, risquer de tomber, c’est être libre. Ou plutôt, c’est tout simplement être vivant. »
La plus belle citation que j’ai jamais lue à propos de la moto.
Très beau récit. Ca m’a rappelé de bons souvenirs de mes premiers tours de roues.
Ca me rappelle mes 14 ans, avec mon supermot’ trafiqué dans les vignes (avec des pneus routes, sinon c’est trop facile). J’en voulais pas mais j’ai quand même essayé. Je me suis vautré au bout de 30 secondes, mais quand je suis remonté dessus le destin était scellé!
Toujours aussi magnifique ces articles! Ca me rappelle ma première fois, mon père avait une XJR 1300 de prêt, j’avais 10 ans, au début j’avais peur qu’il m’emmène faire un tour, puis juste avant qu’il la rende je me suis décidé, et ce fut la révélation! aujourd’hui j’ai 17 ans et demi, et déjà plus de 20 000 km au guidon de ma 125 😀
Heu, j’ai le modèle vert machin et bleu violacé. Et bé on s’y habitue. Et puis moi je vois sa beauté intérieur! Et je suis sur que personne ne sera assez fou pour me la piquer. Et c’est vrai que c’est un Big foot chaque fois que je roule avec. (je crois même que ma KTM est un peut jalouse, mais chut!).