A 15 ans, alors que ses copines fantasmaient sur le dernier 45 tours de Patrick Bruel, elle, elle s’entichait des ténébreux blousons noirs en écoutant en boucle Renaud dans son walkman. C’est peut être de là que lui est venue sa passion pour les motos. Enfin, pour les motards en tout cas.

A 20 ans, c’est à un de ces rebelles parfumé à l’essence qu’elle finira par dire oui. Tous les samedis soir, patientant sur le perron de ses parents, elle l’entendait arriver au loin. Longtemps avant de voir le bandana rouge de son héros apparaître, elle entendait rugir son GSXR au milieu des champs de blé. Promesse de liberté. Une jeunesse à toute vitesse sur la selle passager.

A 30 ans, son beau rebelle a rangé son blouson noir pour un sobre costard. Les enfants sont arrivés ainsi que l’ignoble voiture permettant de les déplacer en toute sécurité. La moto a commencé à prendre la poussière. Remisée tout au fond du garage la Suz’ a tout doucement disparue sous un amas de cartons. Le quotidien a eu raison de ce boulet de canon. Souvent, courant entre son taf et ses tâches ménagères, Lili regrettait leurs virées poignée en coin où elle n’avait qu’à se laisser bercer par le ronronnement du 4 cylindres, serrée contre le dos de son motard. Sentir le vent glisser sur leurs casques, ses poils de bras se dresser dans les virages à l’aveugle. Elle a parfois le cœur gros au volant de son Multipla. Mais il y a un temps pour tout dans la vie, il faut savoir grandir, assumer.

A 40 ans, Lili est assise seule sur son divan, pleurant dans cette maison à moitié pleine. Ou plutôt à moitié vide. Comme beaucoup, son mari aurait pu faire sa crise de la quarantaine en se fendant le dernier Gex. Mais le lâche a préféré se contenter de sa secrétaire. Et ce n’est pas à moto mais dans une vulgaire décapotable qu’ils sont partis un matin en direction de la Côte d’Azur. Histoire banale, stupide cliché. De rebelle il n’avait décidément que son perfecto élimé. Une coquille. Vide. Lili n’en est pas moins là, seule, à pleurer. Les mois passent, mornes et tristes. Un jour, en déplaçant un carton au fond du garage, une bâche glisse et le GSXR apparaît. C’est comme un coup de poing au ventre. Elle en tombe à genoux.

Au moment du divorce, il ne comprend pas pourquoi elle souhaite garder cette vieille moto. Ce n’est qu’un vieux bout de ferraille rouillé qu’il lui cède volontiers. Mais Lili a un projet, une ambition un peu folle : être heureuse. Elle a toujours aimé rouler. Elle a toujours aimé cette moto, celle de ses premières émotions motardes, celle de ses 20 ans. Mais désormais, plus question de laisser quelqu’un tenir le guidon à sa place. Lili a passé le permis gros cube. Chose qui ne se faisait pas à son époque. Chose dont jamais elle ne se serait crû ne serait-ce que capable. Il faut dire qu’on lui avait si bien répété que piloter n’était pas une affaire de bonnes femmes. Sauf qu’aujourd’hui, c’est au guidon que les p’tites jeunes vivent leur passion. Et Lili voulait relever ce défi, suivre cette nouvelle génération. Depuis, elle n’est pas descendue de sa moto, n’enlevant presque jamais son casque et sa combarde de cuir. C’est qu’elle a du temps à rattraper. Et elle le fait à sa façon : poignée de gaz en coin et à fond les ballons.

Lili n’était pas une « fille à motard » comme on disait en son temps. Elle était une motarde. Et aujourd’hui Lili a tout pour être heureuse : la vitesse et son Gex.

7 Commentaires

  1. La moto devrait être remboursée par la sécu ?.Bienvenue à notre fan des chronos.
    J’en profite pour dire que la nouvelle mise en page du WEBZINE est pratique et sympa.

  2. Merci…
    Sentir le fond féministe derrière ce personnage fait du bien, pour moi qui ait envie de claquer quelqu’un chaque fois que j’entends un motard parler de « la passagère »…
    Il me tarde la suite… 🙂

  3. Bonne pioche pour cette donzelle: elle reflète effectivement bon nombre de quarantenaire qui passe le permis, la Femme en particulier attend souvent si ce n’est un divorce mais que les enfants aient grandit. La passion de la vitesse en option non obligatoire mais c’est votre Lili 😉 !

  4. Marrante cette histoire, j’ai connu une nana courageuse qui a vécu presque la même chose, elle a essayé de passer son permis A mais a échoué a maintes reprises et finalement roule en 125 shadow; elle s’appelle Bénédicte …. respect !

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