« Si Cigalou te propose une sortie moto, surtout, fuis ! » C’est ce que te diront mes neuf ex-copaingues de samedi dernier. Pourtant, je ne comprends pas. Tout était réuni pour une bonne petite balade hivernale : à peine un chouia plus de 500 bornes à avaler. Soit environ 8 à 9 heures de selle sur de la p’tite route bucolique. Bien sûr, il y avait ce léger déluge de flotte saupoudré de vent glacial quasi continu, mais bon, ça c’était histoire de pimenter les choses. Non vraiment, j’vois pas. Alors bon, d’accord, je veux bien concéder que nous sommes arrivés à l’Enduropale du Touquet APRES la course. Effectivement, là, il y a eu un petit raté logistique. Un détail. Mais de là à dire que ça a été la « berezina », non, ils exagèrent. Tiens, j’te raconte, tu me dis ce que tu en penses.

A 8h du mat’, notre groupe parfaitement hétéroclite était fin prêt au départ. Bah oui, je ne supporte pas l’idée de rouler en « secte », vive la diversité bordel ! D’un côté le trio de street-fighters (non, je n’ai pas dit kékés) Yantl, JF et Marius au guidon de leur Bandit, Speed-Triple et Gladius tunnés façon stunt de la mort. De l’autre Marc Peltriaux, vainqueur du dernier GS Trophy France, en pleine préparation pour la manche internationale. Ze champion quoi. Entre, il y avait les habitués de mes plans pourris : Vilebrequin sur sa 900 Div’ « polyvalente » et Vincent – alias le Motarologue – au guidon de son excellent DL 1000 (j’en sais quelque chose, j’ai le même). Impossible à rater entre sa veste rouge et son ER-6 vert pomme, Marine – que la Rando TT pirate n’avait pas suffit à écœurer – était aussi de la partie. En guest star ultime, le président de la Motardie (ndlr. pays imaginaire des motards sur les réseaux sociaux) : l’auto-proclamé Camembert Ier et sa grosse saucisse de MT-09. Enfin, le dixième larron fut rejoint sur la route. Il faut dire Mickaël était parti de Lisieux avant l’aube avec son Vara 1000. On allait quand même pas lui faire faire un crochet par Paris en plus…

Au bout d’environ 10 minutes de route, on a commencé à encaisser les seaux d’eau projetés par un vent latéral tout ce qu’il y a de plus vicieux. Une météo marrante quoi, de celle qui raffermit les pores et hydrate le corps. Certes, mon road-book n’était peut être pas forcément hyper adapté à cette météo : j’avais passé des heures à dénicher les rares forêts et petites routes virevoltantes dans la morne plaine picarde. Qui pouvait prévoir qu’avec toute cette eau ça allait se transformer en bourbiers et immenses flaques ? Et puis bon, au moins ça permet de tester ses réflexes. JB et Yantl nous l’ont prouvé en exécutant d’artistiques travers. Bref, on s’éclatait à 50 à l’heure lorsqu’au bout de 2h30 de route non-stop (à peine) voilà Vincent qui me fait signe de m’arrêter en urgence. Flûte, un souci mécanique ? Non, ses bottes imperméabilisées au chatterton venaient de prendre l’eau, il lui fallait rajouter une épaisseur de scotch.

Du coup, pour cet arrêt, on avait le choix entre un bistrot accueillant, un large auvent de centre commercial bien abrité et la devanture glauque d’un magasin de portes-fenêtres. Comme toi j’imagine, j’ai bien entendu opté pour la troisième option. Tous serrés sous ce petit auvent de 50cm, je pensais créer de la cohésion, encourager les échanges philosophiques de haut vol. Tu parles, ce n’était que « je ne sens plus mes doigts », « mon orteil va tomber », « la flotte est passée dans mon calçif » et autres futiles doléances. Il faut dire – si tu me permets une petite parenthèse – qu’en même temps c’est seulement dans ce genre de situation un peu fun que tu peux vraiment tester le potentiel (ou pas) de ton équipement. Il y a eu pas mal de déceptions : les gants Gore-Tex waterproof de Yantel qui étaient surtout water-absorbant. Les baskets imperméables de Tristan qui ont vachement bien gardé l’eau à l’intérieur des chaussettes. Mais aussi d’excellentes surprises comme le vieux pantalon Dafy tout bête de Camembert Ier, honorablement imperméable. De mon côté – et ce n’est pas un vieux placement de produit mais un véritable coup de cœur du jour – ma tenue Bering Rando que je testais pour la première fois n’a pas laissé passer un seule petite goutte d’eau (ni une once d’air froid d’ailleurs). Cigalou approved ! Je fus le seul complètement au sec tout le long de la sortie, narguant allègrement Marius et Vincent glacés dans leurs p’tits cuirs cintrés. Chuis un mec bon esprit moi.

Guère après, nous rejoignons le normand Mickaël (avec une bonne heure de retard). C’est le genre à porter la poisse : on n’avait pas fini de se saluer que la pluie a redoublé d’intensité. Le ciel était d’un noir d’encre, la route une rivière et la visibilité se limitait à une poignée de mètres derrière un rideau de pluie. Visières ouvertes, gouttes glacées lacérant le visage et doigts congelés, tu l’as compris : c’était le grand panard. A un arrêt essence, mes grognards grognaient encore plus. Camembert Ier, 30 piges de bécane derrière lui, me dit : « J‘en ai fait des conneries, mais te suivre, c’était vraiment la plus grosse ». Et encore, il ne savait pas qu’il venait de flinguer son pneu arrière sur une crevaison pas si lente… Vilebrequin, le regard perdu, restait là, debout, prostré sous la flotte. Marine se collait le visage sur ses précieuses poignées chauffantes tandis que Yantl envisageait de rouler sans gants histoire d’accélérer le processus d’amputation et basta. Mickael n’avait plus que Lisieux pour pleurer (j’étais obligé de la faire celle-là). De toute évidence, le vent de la mutinerie soufflait dans la troupe. J’ai donc tenté un discours fédérateur, le truc à la Braveheart qui prend bien aux tripes : « C’est maintenant que ça devient bon ! C’est là qu’on se dépasse, qu’on vit quelque chose de fort ! Allez, on y presque! Plus qu’une bonne heure ! ». Gros flop et regards noirs. Marc a alors lancé un timide :« Et si on allait manger au chaud ? ». Et tu sais quoi ? On est allé bouffer… Pffff.

Bien sûr, la cerise sur le gâteau fut d’arriver après la course que nous étions venus voir. Je ne vous raconte pas leur tronche déconfite. Ils étaient sacrément déçus d’en avoir autant chié pour rien. Moi j’m’en foutais, je l’avais déjà vue l’an passé. Je te raconte pas comme je me suis marré. Mec bon esprit toujours et encore. Après une heure de pause à regarder la piste de sable déserte du Touquet, nous sommes donc repartis en direction de Paname. Autant te dire que l’autoroute a obtenu tous les suffrages. C’est donc à la lueur des phares et dans un rythme relevant d’un vibrant hommage aux années 90 que cette journée prit fin. Chacun pour soi et gaz pour tous…

Alors ? M’sieurs-dames les jurés, qu’en pensez-vous ? Pour ma défense, je n’aurai qu’un mot : souvenir. Dans quelques jours, dans quelques semaines, les engelures vont s’estomper. A la place, mes neufs compères se souviendront de cette fois où ils ont bravé la tempête. Ils raconteront les bottes scotchées du Motarologue, les travers dans la boue et les rires entre deux claquements de dents. Et vous savez quoi ? Je suis prêt à mettre ma main à couper que dans un an, ils signeront à nouveau pour la même balade foireuse.

Parce qu’à moto, les meilleurs moments, ceux qui restent, ce sont toujours ceux de galère...

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Photos : Le Motarologue, Yantl, Marine, Vilebrequin & Cigalou.
Conseil radin pour ce genre de sortie : dans tous les cas, l'eau va traverser tes gants à un moment ou à un autre. La fameuse paire Lapodécouilles hors de prix ne fera que retarder un peu plus longtemps le processus. Mais après, tu auras froid comme tout le monde.  Investis donc plutôt dans deux paires de gants d'hiver corrects. Une sur les mains, l'autre au chaud et à l'abri dans un sac plastique pour le retour. Je t'assure que repartir les mains au sec à mi-parcours, quand la fatigue commence à se faire sentir et le froid de la nuit à tomber, ça fait toute la différence.   

7 Commentaires

  1. « Dans quelques jours, dans quelques semaines, les engelures vont s’estomper. A la place, mes neufs compères se souviendront de cette fois où ils ont bravé la tempête. Ils raconteront les bottes scotchées du Motarologue, les travers dans la boue et les rires entre deux claquements de dents. Et vous savez quoi ? Je suis prêt à mettre ma main à couper que dans un an, ils signeront à nouveau pour la même balade foireuse. »

    Pour avoir vécu une balade similaire (traversée du plateau entre le Puy en Velay et l’Ardèche avec une météo annonçant quelques flocons), avec des motards complètement équipés pour la circonstance (les pneus hyper sport sur un Gex, ça colle super bien à la route… quand ils sont chauds), avec forces encouragements à la troupe (« le pire est passé, ça ne peut que s’améliorer » qui a perdu de sa crédibilité au fur et à mesure des étapes, avec un coup de grâce quand nous nous sommes retrouvés derrière un chasse-neige), je te trouve fort optimiste. Trois ans après, ils n’en sont toujours pas remis, certains me traitent encore de cinglée en disant que c’était dangereux et inconscient et qu’ils ne referont jamais un truc pareil…. :o))))
    Par contre, nous, on n’avait pas raté la course à Lédenon…

  2. Raconté comme ça, je ne vois pas où est le problème 🙂 En plus quand on regarde les photos du Touquet, on voit un peu de ciel bleu.
    Mais c’est vrai que je n’aurais pas aimé être à votre place.

  3. Ça c’est le genre de trip que j’adore! Et le top c’est de compter ses déboires aux autres….. toujours avec une certaine fierté. ! Que du bonheur…..APRÈS ! !!

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