Mon coming out hipster

Ce genre de truc, ça peut te tomber dessus sans que tu t’en rendes compte. Bon bien sûr, il y avait eu des signes avant-coureurs, des indices qui auraient dû me mettre la puce à l’oreille : un passage chez le barbier, le choix d’une casquette vintage, le tatouage, un p’tit bracelet en cuir. Mais on se croit toujours différent, on croit que l’on peut y échapper. Sauf qu’un matin, tu te lèves avec une envie de quinoa et une mélodie de Christine and The Queens dans la tête. C’est foutu, t’es devenu un hipster.

J’enfile mon pantalon en coton bio éco-responsable et je sors en courant de mon appart. Vite, plus qu’une seule solution, l’antidote absolu à toute velléité de mode : mon bon vieux V-Strom. Cette brave machine – véritable aberration esthétique – que j’adore. Ouf, ça va mieux.

Sauf que manque de bol, je devais changer mes pneus ce jours là. Le hic, c’est qu’Erick – mon bouclard et néanmoins ami (si, si, ça peut arriver) – en plus d’être concess’ Suz’, il fait dealer officiel des superbes prépas de son pote d’Evolution Motorcycle. En me garant, mes yeux se posent sur son scrambler perso. Diable qu’il est beau. Je rechute.

J’ai envie de parler anglais et d’écouter radio Nova. Forcément, mon enfoiré de garagiste sent le trouble qui m’habite et avec un sourire sournois me propose de croquer la pomme : « Tu veux l’essayer mon biquet? ». J’hésite encore. D’un côté la selle réconfortante de mon gros DL. De l’autre les boudins cuir sexy de sa bécane. J’essaye de me concentrer sur les plastiques moches de ma moto. Mais ce fourbe tourne la clef de ce qui était jadis une 1200 Inazuma. Le pot maison crache alors un superbe « wabro-wabro ». En deux secondes j’arrache ma combi de pluie fluo et laisse apparaître ma chemise à carreaux de bûcheron des grands boulevards. Je venais de faire mon coming-out hipster.

En deux accélérations, je suis dans les allées du bois de Vincennes. J’ai les poils au garde-à-vous. Je monte les rapports rapidement dans un son absolument envoûtant. Je me prends un shot de sensations à… 70km/h. Et ça c’est super, parce qu’avant de sentir quelque chose sur le V-Strom, t’as déjà perdu le permis une ou deux fois. Sa selle basse et son large guidon cross me titillent. Après tout le scrambler, c’est l’ancêtre du trail non ?

Allez hop, je quitte la route pour les sentiers de joggers. Sa maniabilité digne d’une 125 et son quatre cylindre hyper coupleux en font un redoutable jouet sur l’herbe mouillée. Au moindre coup de gaz, elle se fout en travers, le pied. Bon, n’espère pas passer une marche, niveau garde-au-sol, il n’y a que dalle. Mais pour drifter sur de la piste de terre, c’est la folie. C’est tellement la folie que je vois arriver le Kangoo de la sécurité du bois. J’ai beau leur expliquer que c’est pour un article du prestigieux fanzine All You Need Is Ride, les types s’en tamponnent. Je dois dégager mes fesses de suite. Ils me concéderont quand même que ma moto est très belle.

De retour sur bitume, je goûte aux joies d’une partie-cycle entièrement refaite, avec les amortos Ohlins qui vont bien. La bécane est un rail qui répond au moindre mouvement. Ça c’est un aspect non négociable pour Arnaud le concepteur de ce scrambler. A 50 piges, il est comme Erick de la génération qui a roulé fort, très fort à la grande époque. C’est des foutus bouffeurs de bitume. Pour eux, pas question de faire des prépas de salon. Ils font des motos qui roulent. Ça paraît con, mais parfois on dirait que certains oublient ce détail à force de faire de « l’art ». Sur ce scrambler, le chassis hyper sain de la 1200 Inazuma n’est pas retouché. Pourquoi changer ce qui marche déjà (très) bien ? Puis niveau homologation pas d’soucis en plus du coup. Le quatre cylindre c’est surtout pour aller à contre-courant de l’ambiance parisiano-parisienne qui ne jure que par du flat. Et surtout, ça a suffisamment de coffre et de patate pour tailler la route sans broncher. Erick ne compte plus ses traversées de la France à son guidon, en direction de sa chère Corse.

Bref, ça roule, ça tient la route, ça freine… et c’est beau. What else ?

En rentrant à la nuit au garage, j’ai eu du mal à descendre de son scrambler. Pour moi, ce genre de bécane, c’est un jouet. Et s’amuser, n’est-ce pas tout ce qui compte à moto ? Erick m’a demandé si j’étais convaincu. Je lui ai dit que oui. Bien sûr que j’en veux une. Comme je veux une bonne routière pour les longs trajets, une sportive pour aller faire le con sur piste, un trail endurisé pour balader dans les chemins, un custom pour rouler pépère et une trial pour grimper aux arbres. Le problème c’est que la moto qui fait tout n’existe pas. Mais il existe des motos pour tout faire. Et j’ajouterai volontiers un scrambler au garage aussi idéal qu’éclectique que j’espère construire au fil de ma p’tite vie de motard.

Car quand on aime la moto, on aime toutes les motos.