Franck jaugea la machine. Sa machine. Une moto japonaise dépouillée de tous ses oripeaux commerciaux d’origine. La bulle et le carénage, il les avait déposés soigneusement, mettant en valeur le moteur. Ce quatre cylindres en ligne, strié par ses ailettes de fonte, ressemblait à une sculpture de Constantin Brancusi. De la puissance calibrée, polie, maîtrisée. Une œuvre d’art au service de la vitesse.
Le reste de la moto, c’était du cuir, des éléments supprimés, ou rapportés, ou même rouillés. C’était de la sauvagerie à l’état pur, cette moto. Une meule, une bécane, une bête.
Dans un élan parfaitement synchronisé, il empoigna le guidon alors même que sa jambe droite traçait un demi-cercle dans les airs. Il se retrouva confortablement assis sur le mince rectangle de cuir cousu main par son ami Mat. Il sentait la texture de la poignée des gaz à travers son gant de cuir. Il prit une inspiration en regardant au loin les lumières de la ville. La compression était adéquate sous la semelle de sa boots. Son corps soudain se détendit et d’un puissant coup de jarret il écrasa le kick.
Cela faisait maintenant un bon quart d’heure que Franck labourait la nuit à la lueur de son phare jaune. Il avait descendu une bonne partie de la route de la Montagne. Maintenant il attaquait le dernier tronçon avant l’arrivée sur St Denis. Il épousait les courbes des rampes, seul dans l’obscurité, attentif aux rugissements des entames de ligne droite.