La semaine dernière – une semaine déjà ! – j’avais glissé quelques bouquins dans mon sac histoire d’occuper mes longues nuits blanches sur le fauteuil inconfortable de la maternité. Deux bouquins sur comment ne pas devenir un père trop pourri et « En avant, calme et fou » de Sylvain Tesson et son compère de toujours Thomas Goisque. Le sous-titre pose d’emblée l’ambition de ce bel ouvrage de presque 300 pages : « Une esthétique de la bécane ». Habitué des grandes envolées philosophico-alcoolico-lyriques du célèbre écrivain-aventurier, je m’attendais au pire comme au meilleur. Et ce fut le meilleur.
Ce bouquin est avant toute chose un recueil photographique de vingt piges d’aventures motorisées à travers toutes les régions du monde, des déserts de sable à ceux de glace, de la Finlande à Madagascar en passant par l’Inde. Derrière l’objectif, Thomas Goisque fait mouche à chaque fois, saisissant la fugacité d’un sourire épique dans une barbe couverte de givre ou – non sans ironie – les poses sur-jouées d’un Tesson se donnant des airs d’Indiana Jones. C’est un ouvrage que l’on parcourt une première fois de photo en photo, de manière presque boulimique, sans prendre le temps de lire une seule ligne. Je réserve au passage une mention spéciale aux clichés de side-car semblant voler au-dessus de la glace du lac Baïkal. Irréel. Sublime.
Puis vient le texte. Tout en sobriété, constitué en aphorismes et en poèmes plus qu’en dissertations. L’art de dire énormément en très peu de mots. L’exercice certainement le plus dur pour un écrivain. Tantôt drôles, tantôt philosophiques, ces « pensées tessonesques » nous accompagnent tout au long de notre voyage dans ce livre et résonnent en nous bien après l’avoir refermé. Certaines, on a envie de les apprendre par cœur pour se la péter au bivouac, d’autres on voudrait les peindre sur son réservoir tant elle semble résumer notre passion. Allez, je vous en jette une poignée glanées au hasard de pages :
» – Plein gaz les gars ! Les yeux fermés ! A fond la mort ! – hurlai-je ce matin-là à mes camarades en donnant un coup de kick. Et je tombais en panne. »
« Lassé de plier l’échine, il partit se rompre le cou ».
« Tout pilote est un enfant. Tout enfant rêve aux motos. Et puis soudain l’homme grandit. Il s’enferme et il s’assagit. Il se marie et se morfond. Il s’installe dans sa maison. Et il en sort pour les bouchons. Une moto passe ! Il se souvient : Tout pilote est un enfant. Tout enfant rêve aux motos… »
« Tirer, pousser, casser, jurer. Nous appelions cela « aller à moto ».
« La moto est un jouet. Et la vie n’est qu’un jeu. Les hommes sont les pions. Le monde un échiquier. La mort ? Fin de partie ! »
« Nos casques n’étaient pas réglementaires. Les cavaliers n’en portaient point. Les motos n’étaient pas aux normes. Les yourtes pas ignifugées. On avait mis un enfant sur un cheval. Dans la marmite, mijotait un commissaire de Bruxelles ».
« Une aventure consiste à aller d’un bivouac à l’autre de la manière la plus difficile possible ».
Bref, Tesson et Goisque nous servent là un « feel good » bouquin à ouvrir en urgence dès que le moral prend la direction des chaussettes. Car à chaque page ils nous rappellent que nous possédons tous dans notre garage une machine à rêver.
Personnellement, j’ai préféré Berezina, pour le coté historique en plus de l’aventure humaine.
J’aime bien lire du texte.
Mais les goûts et les couleurs…
Philippe
L’important c’est l’actu, le rapide, l’instantané mais pour le coup je suis à la masse complet et ne lit cet article que 6 mois après publication ! Comme quoi c’est bien de les conserver !
Beau compte rendu d’un bouquin qui mérite d’être lu si l’on aime le côté baroudeur de la moto, avec tout ce que cela comporte à la fois esthétiquement avec des superbes photos mais aussi avec toutes les emmerdes et joies qui vont avec. Finalement une petite ode à la liberté du motard. Du coup je suis content que tu aies écrit dessus !
Sylvain Tesson est un sacré personnage, qui a tendance à ne pas faire dans la demie-mesure (y a qu’à voir ses sponsors : de la vodka, du pinard, etc.) … J’ai vu récemment une ITW où il explique qu’après son accident d’escalade et son coma, il ne touche plus à l’alcool… Parce qu’effectivement cela semblait être peu raisonné de ce point de vue-là. Ça fait partie du personnage un peu intemporel ou au moins anachronique qu’il donne l’impression d’être, l’aventurier pirate poète, qui picole et fume et parait se foutre complètement de ce que les gens peuvent en dire. Une sorte de personnage un peu romantique (façon littérature j’entends) un peu cowboy, le héros crasseux mais qui sent bon, le baroudeur bourrin mais poète à la fois. bref un homme de paradoxe dirait-on, et pourtant…
Sylvain Tesson on aime ou on aime pas, moi j’adore. C’est un gars qui sait parler d’aventure, qui aime les motos et ça se voit ! Et, indéniablement ce mec-là sait écrire ! Ça fait quand même du bien de lire un aventurier-motard-poète nous conter « Ô combien telle ou telle aventure fut difficile et extraordinaire à la fois » en réussissant à nous faire vrombir sa Royal Enfiel ou son Oural dans le fond du crâne grâce à quelques vers (verre ? non, non, enfin si mais non, je parle poésie !). Et son acolyte Goisque qui semble être tout aussi allumé que lui mais qui sait utiliser son objectif autant que sa meule ça aide à apprécier le livre !
Deux mecs qui manifestement sont restés coincés dans les 70′ mais qui l’assument et savent si bien en causer ! Finalement peut-être que nous aussi… Cela m’a fait penser avec nostalgie à mes expéditions lorsque j’habitais à Madagascar. Ça m’a donné envie de me barrer loin et longtemps avec une caisse de cigares et une de pinard tiens !
Je valide complètement ton texte, et comble du hasard je l’ai emprunté en partant moi aussi à la maternité… Doit-on y voir une signification ?
Pour les expé, les cigares et le pinard, ça attendra du coup, mais je passerai bien en Ardèche avec tout ça, sur mon vieux tromblon (transalp de 88) !
Bises motardes