L’autre soir, en débarrassant consciencieusement la visière de mon casque des insectes qui étaient venus y achever leur vie et on observant ça et là de nouvelles griffures et autres traces d’usure, j’ai pris conscience du fait que ce que la plupart ne considèrent que comme un simple équipement de sécurité était, à mes yeux, beaucoup plus que ça. Non, je ne parle pas du fait qu’un casque puisse aussi être un accessoire de mode. Ceux qui me connaissent assez savent bien que je me contrefous tant des accessoires que de la mode. En revanche, j’ai vu dans cet objet vaguement sphérique un parallèle intéressant avec une planète, une bulle perdue dans l’univers et à l’intérieur de laquelle s’agite tout un monde. Le mien.

Depuis un peu plus d’un an, j’ai fait de la moto mon véhicule principal. En plus du loisir, elle s’est diversifiée pour aussi faire de l’utilitaire. Je vais bosser avec et force est de constater que ces cinquante bornes quotidiennes sont vite devenues un véritable sas à la fois de compression (quand je pars bosser) et de décompression (quand je rentre à la domus). Le constat qui est à l’origine de ce modeste article est le suivant : c’est sur ma moto que j’arrive le mieux à me concentrer sur ma vie, à faire le point, à dénouer des problèmes, à y voir plus clair dans ce monde.
Je n’irai pas jusqu’à dire que j’y fais le vide, que je me laisse aller à ces conneries new- age de lâcher prise (ce qu’aurait dû faire Claude François, soit dit en passant), parce que si c’était le cas, avec la déferlante d’abrutis que je croise chaque jour sur les routes, je ne serais plus de ce monde depuis longtemps.

En revanche, je me suis aperçu depuis longtemps déjà, à l’époque où je n’enfourchais ma brêle que pour partir loin et longtemps, que ce qui se passe dans mon casque reste dans mon casque. Je ne parle évidemment pas forcément des éternuements sournois ni des rots malvenus, mais bien de ces longs monologues intérieurs -ou extérieurs- d’ailleurs, puisque non, je ne me cache pas pour dire qu’il m’arrive souvent de parler tout seul. Le plus beau, c’est que je me réponds. Le plus inquiétant, c’est qu’il m’arrive souvent de contre-argumenter, voire de m’auto-traiter péremptoirement de crétin, voire même de sombre connard quand vraiment je le mérite.

Ce casque a été le théâtre, ou tout du moins le témoin de toutes les émotions qu’un être humain normalement constitué est en droit d’attendre de la vie. J’y ai connu la plénitude des aurores, lancé plein gaz sur de longues routes de campagne, la fatigue et le raz-le-bol des interminables retours sous la pluie, l’angoisse de la vautre sur les petites routes nuitamment enneigées, l’euphorie des vacances, la colère d’une dispute, la machiavélique mise en place d’un complot mondial pour que la théorie de la terre plate soit enseignée dans les écoles dès le CP.

Ce casque a été le témoin des dernières grandes étapes, des derniers grands changements dans ma vie. Il est le refuge où, enfin seul avec moi-même, je ne me cache de rien. Il est ce lieu où je peux enfin parler librement, me confier à moi-même, me juger et juger ce que je fais. C’est là, dans cette petite boîte noire que germent la majorité de mes idées. Il n’a jamais connu le silence béat. C’est là aussi que naissent, et parfois meurent, mes rêves les plus beaux (conf. « mise en place d’un complot mondial pour que la théorie de la terre plate soit enseignée dans les écoles dès le CP ».)

Oui, assurément. Celui qui saurait voir ce qu’il s’est passé dans ce casque me connaîtrait mieux que moi-même.

 

Régis vit en Haute-Savoie. Unique héritier d'une longue lignée de non-motards, fasciné depuis sa plus tendre enfance par tout ce qui a un moteur entre deux roues pour des raisons toujours obscures. Curieux de nature, autodidacte dans bien des domaines, condamné à mort par contumace dans plusieurs pays d'Amérique latine, il a fini par découvrir que son amour de la moto était non seulement aussi fort que celui qu'il a pour l'écriture, mais qu'en plus l'un nourrit l'autre.
PARTAGER

7 Commentaires

  1. Beaucoup apprécié ces lignes d’une rare justesse.
    Mon casque est aussi ce havre de paix où aucun sujet n’est tabou, cet endroit où je développe la thèse en même temps que l’antithèse. Je m’y engueule, m’y félicite parfois (rarement), j’y rêve (les yeux ouverts, bien sûr), j’y chante ; en lui, je me souviens des amis parfois partis et/ou de ceux pas vus depuis longtemps. Bref, quand ça ne va pas bien, je mets mon casque, j’enfourche une moto et alors, ça va mieux et enfin, ça va bien. Bravo pour cet article on se sent moins fou quand on n’est pas tout seul ??

  2. Merci pour cette approche rarement développée.
    Mon casque est le seul à connaître la physionomie au millimètre de l’extérieur de ma tête et de l’immensité de ce qui s’y passe à l’intérieur. Il hume bon les lundis parfumés, les vacances sans douche, l’adrénaline du freinage pour éviter le Suv sans clignotants, les effluves chimiques qui font de moi un motard heureux : sérotonine, endorphine, dopamine, ocytocine. Il filtre le son feutré du ronronnement mécanique et garde secret les ritournelles indeboulonnables. Pas de casque jet, toutes ces merveilles s’envoleraient.

  3. c’est aussi tout l’avantage d’une moto (un peu) bruyante : les piétons ne nous entendent pas converser avec nous-mêmes ! (sinon bonjour les rassemblements de motards dans les hôpitaux psy !!)

  4. « en débarrassant consciencieusement la visière de mon casque des insectes ». Sage précaution : quand une guêpe s’étale en une flaque de 10 cm de Ø sur ton casque, c’est la preuve que l’impact s’est produit à une vitesse que l’opinion publique moutonnière réprouve et que la loi réprime. Donc, supprimons l’infâme cadavre délateur.
    Parler tout seul mènerait à l’asile ? Hum… c’est vrai que le capitonnage du casque évoque déjà le genre de cellule où l’on jette – après avis préfectoral- les … heu… personnages atteints de graves troubles de la personnalité. Mais la comparaison s’arrête là. Parler seul est salutaire, tous les psy du forum doctissimo le disent. Et aussi les autres.
    Sous ton casque, tu peux beugler toutes sortes d’insanité (surtout celles qui s’adressent prioritairement à toi-même), chanter comme une casserole. Et même, au risque de paraître pédant, réciter des classiques, histoire de mesurer la distance de sécurité qui sépare encore tes vieux neurones d’Alzheimer.

LAISSER UN COMMENTAIRE

Please enter your comment!
Please enter your name here

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.