La Malédiction des Pères
Dans les discussions de bivouac on finit toujours pas en arriver à l’origine de notre passion pour ces foutues bécanes. Il y a toujours deux grandes catégories qui émergent : ceux qui sont motards par héritage, ceux qui le sont devenus par volonté. Et peu importe d’ailleurs, les histoires sont toujours belles. Elles parlent d’apprentissage, de dépassement de soi, de road-trip, d’amour et de liberté.
Allaité à l’Ipone, bercé au pom-pom-pom des monos et amené chaque année au Trial Indoor de Marseille comme d’autres à Disney, être motard n’a pas été pour moi un combat ou un défi mais une… évidence.
C’est alors qu’au hasard des rencontres et des amitiés qui en sont nées, je me suis rendu compte d’une sorte de constante chez les fils de motards. Ils ont tous un petit quelque chose en plus, une sorte de pouvoir que les autres n’ont pas, un truc qui fait qu’ils se reconnaissent au premier regard : Ils ont l’incroyable don de casser la moto de leur père !
Remontons à une époque pas si lointaine, Olivier n’a pas encore de permis mais déjà des conneries plein la tête. Son père lui a un magnifique 400 XR. Connaissant le potentiel de son fiston, il fait des marques dans la poussière du garage pour pouvoir vérifier si son bijou change de place pendant qu’il est au boulot. Mais il en faut plus pour arrêter notre chenapan : Avant de subtiliser la moto de son daron, il saupoudre de talc l’emplacement des roues et de la béquille au sol, fait un repère sur la position des valves, etc. Le crime parfait quoi. Parfait jusqu’à un soir d’été où – ses parents absents – il décide d’escorter des potes jusqu’à Toulouse au guidon du 400 XR. A l’aller, tout se passe bien. Mais alors qu’il emprunte les routes de traverse à fond les ballons pour rentrer, il a soudain cette sensation qui lui était si familière sur son 50 : Serrage moteur. Terminé le 400 XR. Par de rocambolesques aventures nocturnes impliquant une dizaine d’effractions au code de la route, il réussira à tout remettre en place dans le garage juste avant l’arrivée de ses parents. Il vécut ensuite quelques temps en sursit jusqu’au jour fatidique où son paternel décida d’aller balader sur sa bécane. Prendre une fessée à 20 ans ? Si, si, c’est possible…
Avec Tom, c’est un autre style. C’est le casseur de moto paternelle décomplexé. Le genre qui t’appelle avant une rando hard-trail pour te demander « Elle est vraiment chaud-chaud-patate la trace ? Oui ? Bon ben je prends le XT du père alors« . Et c’est ainsi qu’il peut se vanter de ne tomber que très rarement avec sa sublime R 100 GS. Par contre avec le 600 XT… Cette pauvre moto en voit de toutes les couleurs à chaque fois que le fiston la prend en otage. A son guidon, je l’ai déjà vu disparaître jusqu’au réservoir dans une flaque, mort de rire. Péter un morceau par-ci, un morceau par-là. Et en rentrant d’une rando où il avait plié la jante avant de cette pauvre moto, il dit à son père : « C’est vraiment de la merde ces roues, tu devrais monter des Excel« . Alors son paternel, même s’il sait bien que lui n’a pas besoin de jantes renforcées pour aller bosser de temps en temps avec ce brave mono, ben il a monté des Excel. Tom est tellement content quand il part jouer avec son XT…
Et bien entendu, je ne déroge pas à la règle. Ma victime de prédilection, c’est le 350 DR endurisé de mon père. Une moto bichonnée, choyée, améliorée dans chaque détail, chaque vis. Forcément, ça donne envie de faire des folies avec. En 3 ans, j’ai eu le droit d’y monter dessus… 3 fois. Le premier coup, c’était lors des recos de la Rando TT Pirate 2015. Je prends sa moto pour la comparer à mon 600 XL. Et clairement, ce n’est pas comparable : je file comme le vent, j’avale les obstacles, je survole la pouzzolane, un bonheur. J’étais tellement sur un nuage que je n’ai vu le ruisseau devant moi que quelques secondes avant l’impact, je me dis « ça va passer« , je me jette sur l’arrière, plante un gros coup de gaz et je jumpe ! Dans les vidéos Red Bull ça marche toujours. Là non. Je me suis écrasé comme une crêpe sur la rive opposée du ruisseau. Câble de démarreur arraché, rétroviseur cassé et à peu près tout ce qui dépassait pété. Je vous raconte pas quand je suis rentré en poussant la bécane…
Pile un an d’interdiction d’approcher son DR plus tard, nous voilà en pleine recos de la Rando TT Pirate 2016. Je profite qu’une hernie discale le met temporairement hors-jeu pour le prendre par les sentiments : « il faut qu’elle roule cette moto, elle s’abîme là dans le garage« . Il finit par céder contre la promesse de lui ramener entière. Champagne ! Je pars comme un dingue ! Au premier chemin je plante une roue arrière pour avaler un tas de cailloux en souplesse. Sauf qu’un 350 DR, ça lève beaucoup mieux qu’un 660 XTZ. Et me voilà, les mains agrippées au guidon, en train de courir derrière la moto en hurlant « Pas déjà, pas déjà, pas déjà« . Les Dirty Pirates présents ce jour là en pleurent encore de rire lorsque l’on en reparle. La casse est évitée de justesse. Manque de bol, plus loin, je me fais surprendre bêtement par une plaque de gravier lors d’un freinage : grosse glissade et paf ! Un pare-main à racheter ! Là je me dis que ça va grincer des dents en rentrant. Mais je reste optimiste, plus qu’une dizaine de bornes. Dans une descente bien technique, je profite d’une épingle pour m’arrêter et aller prendre en photo les copains plus haut. Alors que je suis en train de les « shooter », j’entends un gros « pong-pong-pong-pong » : Emportée par la pente, la bécane avait commencé la descente… sans moi. Oups.
je me souviens que, le visage décomposé lorsqu’il m’a vu arriver avec son précieux 350 DR de nouveau amoché de partout, mon père m’avait dit : « J’espère qu’un jour toi aussi tu auras un fils motard et qu’il te flinguera tes motos« .
Ce coup-ci il aura fallu an et demi avant que je puisse retoucher à sa moto. Je sais que je vais lui recasser un de ces quatre. Lui aussi je pense. Mais il me la prête quand même, comme le père de Tom et comme celui d’Olivier. Jusqu’à présent, je ne comprenais pas pourquoi ils faisaient ça.
Mais dans une poignée de semaines, je vais être papa d’un petit garçon à mon tour. Et ça change tout. Je le vois déjà en train de serrer le moteur de mon XTZ ou de pulvériser mon fidèle SV, tout ça en se poilant comme moi je me poile en relevant les bécanes de mon père après une gauffre. Je devine ce sentiment d’inquiétude, d’énervement et de fierté qu’ils doivent ressentir à nous voir faire les zouaves à nos guidons, pardon, à leurs guidons.
Je me dis que se faire casser sa moto par son fils, c’est surement ça, être père.
J’ai deux fils mais qu’une seule moto, je fais comment ?? XD
Oui, mais il y a toujours des limites. La BM t’a essayé ?. Sympas le texte.
Félicitations !!! … Et très bel article. Toujours un régal de te lire et plein de bonheur a vous trois 😉
J’ai qu’une fille (pour l’instant) vous pensez que je passerai à travers? 😀
On est au XXIème siècle, t’es foutu…
Naaaan! Les filles sont pires que les gars… foi de Griselda!
Cherche pas, c’est pas mieux avec les filles, quand on passe au garage, ma fille de 3 ans tient absolument à monter sur les deux motos. Et là t’as un espèce de sentiment à la con, entremêlé de fierté et de « merde, elle va faire les même conneries que moi… »
Grave j ai la même
J’adore! Moi qui ait 2 enfants, assez grands pour prendre ma brêle, ça me parle et surtout je note l’astuce de la poussière dans le garage pour continuer d’avoir confiance en eux 😉
Ça m’inspire un article sous la forme « Quand ta fille te dit « j’veux un scooter… ». Ça aussi ça peut être savoureux?! Encore faut il le rédiger…
Félicitations!!!
Félicitations au futur papa.super récit comme d’hab ?
De mes trois bambins, seule ma fille la p´tite dernière a son permis …
elle habite loin … assez pour que ma moto vive encore un peu ??
Toujours aussi chouettes à lire tes aventures …
Quelle poilade « non pas déjà pas déjà » ??
✌️✌️✌️
Comme tu vas être papa, tu vas surtout comprendre que ton papapounet, ce n’est pas pour sa brêle qu’il craint le plus, mais pour tes abattis. Il reporte sur sa moto ses peurs.
Le fait que cela soit sa machine lui donne un sentiment de culpabilité et de complicité car il te fournit l’outil avec lequel tout peut arriver.
Il y a dans mon garage une moto qui attends le permis de mes enfants, et je me demande comment j’ai pu être aussi con pour me coller de telles angoisses futures.
Et surtout si comme moi tu as collectionné les conneries, tu ne peux plus être serein.
Bon courage
Philippe
J’ai commencé la moto à 50 ans, après 30 ans d’attente, les 3 enfants partis depuis quelque temps déjà, sans avoir pu leur transmettre le virus. Donc je la casse un peu tout seul, à l’arrêt en plus… Mais j’ai confiance en l’avenir, ce sera les petits enfants !
Un texte drôle et touchant, comme j’aime !
En vrai, jsuis un peu jalouse, j’aurais trop aimé faire de la moto avec mes parents… mais bon, ils avaient d’autres qualités 🙂
Et maintenant j’ai trop hâte de voir ton gamin défoncer tes motos ha ha !
Une grosse bise et un joyeux Noël à toute la famille !!