Alors que certains calculent l’hydrométrie et angoissent sur les batteries de leurs gants chauffants, c’est en général par ce genre de messages plein d’optimisme stupide que se décident la plupart de nos weekends motos :
Bien sûr, à ce moment là, nous savons déjà tous au fond de nous que ça va foirer. Mais allez savoir pourquoi, on réussit toujours à s’auto-convaincre que – cette fois – ce sera différent… A moins que ce soit ça que notre petite bande de potes cherche sans relâche : les emmerdes.
Habitué des hivernales, Régis doit nous rejoindre de Savoie avec son légendaire XJ 900. Cigalou et Florent montent d’Ardèche sur leurs trails à tétines. C’est une grande première pour ce dernier, en hivernale et… avec nous. Le pauvre. De mon côté je partirai de Riom au guidon de mon Africa chargée à toc, seul en valises alu oblige…
Tout paraissait (trop) simple pour rejoindre cette hivernale dont l’accueil à Anzat-le-Luguet n’est situé qu’à 1h30 de chez moi par la soporifique A75. Du coup, deux semaines avant le jour-J, je prends la décision de rejoindre Cigalou et Florent au Puy-en-Velay. Un bon gros détour histoire de faire la route ensembles et d’avoir un peu de bornes au compteur. Je me disais : « Il ne faudrait quand même pas qu’une hivernale se soit juste se poser les fesses dans un champ sans belle balade pour y aller ! »
Et puis 2 jours avant le rendez-vous la météo décide de transformer cette hivernale en … H-I-V-E-R-N-A-L-E ! Grosses chutes de neige annoncées sur tout le massif central, vigilance orange, Burle : les informations Météo France donnent des envies d’aquaponey ! Le week-end s’annonce épique. Mais je reste optimiste : vendredi matin je surfe comme un prince sur la neige pour aller au boulot, ça va le faire ! Histoire de me « conditionner » un peu je passe l’aprem à regarder en boucle les vidéos de Lolo Cochet au Cap Nord et en Russie. C’est bon, je suis chaud… pour aller me les geler ! Direction le Puy alors que la nuit tombe.
Le trajet du vendredi soir se passe bien, dans un presque confortable -5°C tout du long. La route – abondamment salée – défile à la lumière de mes phares jaunes. Trop facile, ça pue. Je quitte la nationale pour les 3 derniers kilomètres d’une petite route bien pentue me séparant de chez les parents de Cigalou, notre lieu de rendez-vous. Et là c’est le drame : une épaisse couche de neige verglacée m’attend. Première épingle, ça passe, je ne sais pas comment mais ça passe ! Ouf ! Par contre, dans la seconde, ma roue arrière décide d’aller embrasser celle de devant. C’est le vol plané en règle avec atterrissage en souplesse le pif dans la neige. Applaudissements. Le père de Cigalou vient à mon secours et je balance mes 20 kg de bagages dans son 4×4. Malgré cela, il me faudra 40 min pour rejoindre la chaleur du poêle. 40 min pour… 3km.
Une fois au chaud on peut faire un point sur la situation avec le reste du groupe. Tous les plans initiaux et les beaux projets volent en éclats. Les discussions par téléphones interposés fusent. Bilan : on y va mais par la route, au plus rapide. Rendez-vous à Costaros sur la N102. Et pour tout le reste, ce sera au feeling !
Après quelque difficultés matinales pour se mettre en jambe (les 3km en sens inverse pour moi et le col de la Chavade par -9°C pour Cigalou et Florent), on est tous les trois, au chaud, devant un café. Réunis, l’optimisme est de retour. Alors qu’on s’apprête à prendre la route, la première mauvaise nouvelle tombe : Régis, qui est parti d’Annecy à l’aube, est quelque part dans l’Ain en rade de régulateur. L’aventure est déjà terminée pour lui. La poisse… Qu’à cela ne tienne, on continue en se promettant de trinquer en son honneur en arrivant à l’Authentic !
On décide de foncer jusqu’à Brioude. Et ma foi, on le fait, poignée dans l’angle, serrant les dents et claquant des fesses (ou le contraire) lors du passage du col de Fix enneigé. Faire le plein, quatre courses et avaler un Big Mac suffisent à nous faire perdre 2h. Il est 14h30, il nous reste 40km avant Anzat. On est méga large, limite en avance. Florent est tout content. Avec Cigalou, on se regarde, ce n’est pas normal, ça nous ressemble pas. Bref, ça pue.
Chacun croyant que l’autre avait vraiment regardé la carte lors de notre point navigation, on s’est rapidement perdus, chacun accusant l’autre. Mauvaise foi oblige. Et lorsque l’on finit par tomber sur la bonne trace, on découvre que les 30 derniers kilomètres devront être effectués sur une route non déneigée. On se lance timidement à l’assaut de cet enfer blanc. Les langues de neige créées par ce satané vent du nord qui nous accompagne depuis le début se transforment petit à petit en véritables congères. Avec des dénivelés à plus de 8%, je commence à regretter de m’être foutu là-dedans avec mon Africa chargée ras la gueule et sans aucun équipement de neige !
Dans le premier village un groupe de motards est arrêté. Je décide d’aller leur parler pour savoir s’ils ont des infos sur le reste du parcours. Ils sont catégoriques : C’est impossible d’arriver jusqu’à Anzat, surtout avec mes pneus de routes. Selon eux aucune moto solo n’a réussi à monter de la journée ! Là, je dois avouer que le doute m’habite : Est-ce vraiment une bonne idée de tenter l’escalade sachant qu’il va faire nuit dans moins de 2h ? Alors que mon moral part en cacahuète un casque rose bonbon surgit soudain de la brume pour me remotiver à grands coups de « on va le prouver que c’est possible mec ! » Optimisme stupide, notre marque de fabrique quoi. Reboosté à bloc, c’est plein d’espoir qu’on s’attaque à cette monté. Fini les doutes, place à l’action. On avance tous les trois presque coudes à coudes, à un ridicule 20km/h de moyenne sur ces pentes verglacées. Ouais, on se traîne la bite, mais on s’en fout, c’est beau quand même !
20 bornes nous séparent encore d’Anzat. Les deux pieds par terre, les mains crispées sur le guidon et le sourire sur nos lèvres gercées on avance, fiers de notre connerie. On se tanque chacun à notre tour – et à plusieurs reprises – sur le verglas mais c’est pas grave : on est une équipe alors on s’aide, on pousse, on tire et ça repart. Certains side-caristes nagent comme des bigorneaux dans l’eau salée sur ce revêtement, ils nous doublent à toute vitesse en klaxonnant. 10 minutes plus tard, nous en retrouvons un coincé dans les barbelés en contrebas de la route. Alors qu’on est en train de les aider à se tirer de ce ravin, on tombe avec joie sur Didier et Stéphane, des vieilles connaissances de Cigalou ! C’est improbable comme rencontre, au milieu de nulle part. Magie des hivernales.
En arrivant sur le plateau du Cézallier, nous sommes subjugués par un magnifique coucher de soleil. Un paysage comme ça, ça a un goût de victoire. Autour de nous trois, tout est silence, nous évoluons lentement, dans une certaine harmonie (bien que douteuse) entre plaques de verglas et congères. La conduite est physique mais l’instant est magique. Et, forcément, la nuit ne tarde pas à nous rejoindre.
Le panneau d’Anzat apparaît enfin devant nos phares. Nous sommes les derniers à rallier le point de rendez-vous. Nous apprenons avec déception que les quelques kilomètres qui nous séparent du bivouac officiel nous sont interdits : Les Defenders de la croix rouge n’arrivent plus à monter, les congères sont désormais infranchissables. On se console avec un café avant d’aller explorer le village à la recherche d’un auvent ou d’un bout de terrain abrité du vent pour installer notre campement de fortune. Un jeune chevrier babacool se démène pour nous trouver une solution et finit par nous indiquer une grange en indivision, laissée à l’abandon depuis des années. Ni une ni deux nous retournons chercher nos montures à la salle des fêtes. Didier et Stéphane se joignent à nous : Plus on est de fou…
La grange bien que pleine de courants d’air à cause d’un bout de toit manquant est l’endroit dont nous rêvions pour cette nuit. La soirée, digne d’un bivouac (il manquait quand même le feu de camp) se déroule bien, nous échangeons nourritures et boissons autour d’anecdotes, d’expériences ou de discussions profondes. La nuit sera (très) fraîche. Je vous vois déjà dire : « Il y fait plus chaud que dans une tente ». Dans une tente l’espace est restreint et la chaleur humaine réchauffe ! Ici… on fait les sardines !
Le matin on recharge les motos, on boit un café et là, surprise : le soleil est au rendez-vous, la vue est sublime, le moral est chargé à bloc… Après un au revoir avec Stéphane et Didier. La descente se fait facilement sur une route enneigée les 20 premiers kilomètres. On profite du temps pour filmer et faire des photos. Pour notre plus grand plaisir Cigalou réussi à s’en coller une grâce à un excès de confiance. Bien fait ! Ironie du sort : 300m plus loin la route était définitivement déneigée…
Bientôt on se sépare, chacun rentre au chaud. On prend quand même 15 minutes pour refaire une dernière fois le monde (en attendant la prochaine fois). Par le plus grand des hasards sur l’autoroute je croise Stéphane et Didier : on se fait des grands signes à travers la barrière de sécurité. Comme un dernier au revoir…
En somme, ce weekend n’a vraiment pas ressemblé à ce qui était prévu : C’était une hivernale hors norme. Alors, oui, certains diront que ce n’était pas une hivernale à cause de ces quelques kilomètres qu’il nous a manqué pour atteindre le bivouac officiel. Mais – bien souvent – les plus rapides à juger les « vrais » et les « faux » sont ceux qui… étaient bien au chaud chez eux. Alors on s’en fout. Tous ceux qui auront lutté avec plus ou moins de réussite contre la morsure du froid sur le plateau du Cézallier durant ces deux jours, en garderont un souvenir unique et inoubliable. C’est tout ce qui compte.
Et nous sommes de ceux là.
« Le père de Cigalou vient à mon secours et je balance mes 20 kg de bagages dans son 4×4. »
Béni soit le 4×4 de Jean. Il m’a sorti de l’ornière également.
Jean , c’est le Saint Christophe des : « T’inquiètes, ça va le faire ».
Philippe
Il va peut être ouvrir une boîte de dépannage vu le nombre de motards que l’on envoie s’échouer là haut… :-p
Super texte ! Ca sent l’aventure, l’excès d’optimisme, c’est ca qu’est bon !
Effectivement, sans Jean le saint Bernard, ce serait un vrai cimetière à motards ce bout de plateau, une sorte de triangle des bermudes, plein d’épaves de bécanes, les scientifiques ne comprendraient meme pas pourquoi elle sont venues mourrir dans ce trou.
Bravo les gars!
Et continuez à nous faire rêver, et rire!!! 😀
Alors que déjà, que j’ai les boules d’avoir était obligé d’annuler ton invitation a cause du travail.
Mais quand je lis cette article plutôt bien réussi ( au chaud dans mon bureau de moto école) alors la mon moral est vraiment au fond du ravin.
L’année prochaine je serais des vôtres, pour perdre mes doigts et tout ce qu’il sen suit…
Depuis que je suis en selle de mon 990 adventure, je n’est plus qu’une envie c’est de partir vers de nouvelles aventures, mais pour cela il me faudra quelques séances de souffrance.
Donc j’ai eu une idée complémentent fou, c’est de me payer des cours particulier avec Rémi Poussard.
Tu vas te ruiner avec cette crevure… :-p