“Le guidon est disloqué. Ô destin maudit, pourquoi ne suis-je né pour le garder intact ?” Les plus érudits d’entre vous auront sûrement reconnu la citation de Hamlet, arrangée à la sauce au poireau pour l’occasion… Ce n’est pas que je sois la groupie number one de William Shakespeare, mais c’est en furetant dans les limbes des Internets que je suis tombé sur ces quelques mots qui expriment à eux seuls la quintessence de mon expérience de pilote.
Car en effet, les guidons et moi, c’est une vieille histoire. Je ne sais pas laquelle des fées Renthal ou Tomaselli s’est vautrée sur mon berceau quand je n’étais encore qu’un nourrisson innocent, mais elle s’est plantée en beauté.
Avant même que je n’ose imaginer essorer une poignée droite, ce bout de tube cintré m’a joué des tours. Comme lors de ce paisible dimanche des 80’s, dans la cours de l’immeuble de mes grand-parents, où je ne sais quel esprit malveillant avait desserré la colonne de direction du vélo trainant par là. La fourche et la potence étant partiellement désolidarisées, mes commandes sur le guidon étaient elles aussi partiellement transmise au cercle avant, jusqu’au moment où elles ne l’étaient plus du tout ! Les moniteurs de moto-école ont beau nous expliquer qu’une moto ça pilote avec les genoux et le bassin, et bien à 4 ans et sans réservoir à serrer entre les ménisques, il est très difficile d’éviter un mur quand tu t’échines sur ton guidon et que ta roue avant reste droite (avant de finir voilée).
Puis est venue l’époque bénie du QR 50 ! Mon premier contact avec cette engin diaboliquement puissant (3 CV au bas mot) aura finalement laissé peu de traces sur la bête, mais un bon gros souvenir dans mon esprit. Je pourrais vous narrer ce qui se passa ce jour-là à Montlhéry, mais je vous le réserve pour une prochaine fois. Tout ce qu’il y a à retenir pour le moment, c’est que c’est dans l’Essonne et malgré ma première gaufre à moto (qui étonnement épargna le guidon) que le virus de la moto m’a piqué. Fait étrange s’il en est, cela n’a pas refroidi mes parents, et c’est lors de ce funeste samedi après-midi que je pris possession de mon premier fidèle destrier : un Honda QR 50 d’occasion, trouvé chez un concessionnaire d’Ozoir-la-Ferrière qui l’avait offert à sa fille de 10 ans pour qu’elle le délaisse rapidement (la sotte). La bonne affaire en poche, mon père avait attendu la fin de l’école du samedi matin pour m’annoncer qu’il avait une surprise pour mon anniversaire. Le repas englouti à vitesse grand V, nous nous dirigeâmes vers le garage et là je découvris la moto qui m’accompagnerait pendant de belles et longues années avant la croissance, trop rapide, de mes petits membres m’interdise de chevauchée ce que les ingénieurs japonais ont fait de mieux à cette époque, c’est-à-dire un embryon d’Africa Queen. Bref, je m’égare.
Revenons-en au sujet principal, ce foutu guidon (ou guidon foutu, comme vous voudrez). Donc ce jour-là, je suis tout excité comme le puceau que je suis (j’ai 5 ans bientôt 6). Le QR est déjà sur la remorque, les pleins sont fait ! J’attrape mon casque (eh oui, depuis que mes pieds touchent les cale-pieds de la moto de papa, plus question de rouler dans le panier du side-car, mais collé à mon papounet sur la selle passager), mes gants, mes bottes et mes coudières/genouillères de skateboard. Direction, le terrain vague du coin, qui deviendra quelques années plus tard un golf, à mon grand regret. On décharge, je m’équipe, un coup de kick et c’est parti ! Enfin, ça part mal… Ce que le concessionnaire d’Ozoir-la-Ferrière avait omis d’expliquer à mon père, c’est que sur ces petites bêtes là, il y a une butée d’accélérateur réglable, qu’il est vivement conseillé de régler au minimum pour les débutants, sous peine de se retrouver en full power. Bon bah… Vous vous doutez bien que la butée d’accélérateur, elle était au max. C’est donc avec la naïveté d’un jeune padawan que je me mis à essorer la poignée avant d’être catapulté (je vous rappelle que le moulbiffe développe 3 CV). Et là, je ne sais pas pourquoi, sans doute une fierté mal placée, j’ai refusé de lâché cette satanée poignée de droite. Après tout, les freins c’est pour les lâches non ? En tout cas ce qui est sûr, c’est que les buissons, c’est pour les jeunes padawans qui ne maîtrisent pas encore la force. Après un vol plané, une séance de jardinage pour extraire le bolide (mon père, jardinier à l’époque, a dû apprécier de faire des heures sups gratos) et une inspection rapide du pilote et de sa monture, le bilan tombe : impossible de faire tousser les 49,9 cm3 du cylinre à trou qui fleure bon le mélange un peu riche. En cause, le commodo du coupe circuit qui a péri dans l’opération. Qu’à cela ne tienne, deux coups de tournevis et de pince à dénuder plus tard, le coupe-circuit fonctionnera à la hussarde, mais le jeune padawan remontera en selle !
La suite de mes exploits, dans l’ordre chronologique, et non logique étant donné que la première moto à vitesse que j’aurais piloté ne fût autre qu’une Suzuki SP 370. La séance de tours en rond dans le champ derrière la maison familiale à l’adolescence avec mes cousins se transforma tirage de bourre à coup de c’est-celui-qui-fait-le-plus-de-tours-en-5-minutes-qui-gagne ! Bon ce que j’aurais gagné c’est une leçon de mécanique pour apprendre à changer un guidon tordu par mes soins…
Puis il y eu le Peugeot XP 50 à double varios et frein à disque à l’avant. Le problème du frein à disque, c’est que tu t’habitues à la « progressivité » et au dosage du freinage. Dans le même temps, tu oublies que ton frein arrière, lui, est resté dans une époque antérieure, celle des tambours ! Forcément le freinage est un peu plus on/off. Du coup, après quand tu abuses du frein arrière en courbe et que tu oses freiner sur l’angle dans un carrefour sous la pluie, bah tu te retrouves au tas en plein milieu du susmentionné carrefour en ayant fait un demi-tour en appui sur la poignée gauche dans la chute. Deuxième guidon tordu !
J’aime les rapports, d’où l’acquisition d’une Derbi Senda L, renommée « sandale » par mes potes de l’époque… Et les sandales, tout le monde le sait, c’est pas top sous la pluie. Vous savez, la même petite pluie fine, juste assez forte pour faire ressortir les hydrocarbures bien gras imprégnés dans la chaussée, mais pas assez pour laver Mac Adam ! Bon ben, un rond-point, plus un gamin qui traverse en courant, égal un serrage de trappeur du levier droit, un blocage de roue avant en bonne et due forme (bah non, il n’y avait pas d’ABS sur la « sandale ») et un troisième guidon en vrac.
Alors bon, jusque-là, rien ne prouvait que j’étais maudit. Au plus on pouvait dire que j’avais un goût certain pour l’art moderne et les compressions de César. Ce qui m’a mis la puce à l’oreille, c’est le jour de l’épreuve du plateau, parce que là, je n’ai touché le guidon qu’après qu’il ait été tordu par un de mes camarades d’infortune. Plus stressé que moi, il avait lui-même vautré l’ER5 sur le slalom. Au passage, je ne sais si c’est mieux aujourd’hui, mais les protections de guidon de moto-école n’étaient pas très efficaces à l’époque. Le guidon était littéralement à l’équerre, et c’est après avoir copieusement chambré mon moniteur qui s’échinait à essayer de détorde le cintre, que ce dernier a cru se venger en m’imposant de ramener la petite Kawa traumatisée. Ce que le bougre ne savait pas, c’est que j’étais passé maître dans l’art de l’asymétrie posturale…
Suite à l’obtention du permis gros cube, je récupérais la MuZ 500 Country prêtée par le paternel. Enfin la liberté…de torde encore un guidon ! On aurait pu croire que ce nouvel épisode soit la conséquence d’une de mes nombreuses et infructueuses tentatives de démarrage du mono Rotax capricieux. Sachez que ce type de moto de « mauvais » caractère n’apprécie guère les courts trajets citadins, quand bien même ils sont quotidiens. S’en suit une décharge de batterie plus rapide que l’éclair, et donc un démarreur inopérant. Il reste bien un kick, avec lequel il convient d’ajuster finement le starter et le décompresseur afin de pouvoir espérer entendre craquer le propulseur autrichien. Enfin, en dernier recours, la poussette de la mort aurait pu avoir raison un millier de fois de ce satané guidon, mais il n’en fut rien. Je la respectais que trop cette moto de mes premiers voyages le nez au vent. Finalement, rien de bien original : une station-service, une flaque de gasoil, une gomme avant qui se dérobe, et un nouveau Kundelic pas si inconnu que ça.
Et puis il y eu MA première moto. Celle payée avec MES premiers salaires. Une BMW K75S, que je connaissais depuis l’âge de mes 12 ans. La moto d’un copain de papa : la méga bonne affaire. Une super rouleuse, hyper moderne pour son âge (injection et ABS pour une machine produit en 1991), plutôt confortable et bien assez performante pour perdre quelques points et quelques semaines de sésame rose ! Et niveau fiabilité, comparé à sa cousine de l’est, c’était le jour et la nuit. Pas une seule emmerde avec elle. Il fallait donc bien que les dieux du bracelet trouvent un autre stratagème. En l’espèce ce fut un automobiliste étourdi ou jaloux du bijou de technologie qu’il côtoyait tous les jours en sortant de sa place de parking. L’histoire gardera ses motivations mystérieuses à jamais, le couard, mais on retiendra qu’un beau matin, pressé de retrouver ma belle, et surtout de ne pas arriver en retard au bureau, j’eu la douloureuse surprise de retrouver ma belle bavaroise gisant au sol, un rétro fendillé et semblant me supplier de lui venir en aide. Rassurez-vous tout de suite, les bavaroises sont de solides gaillardes. Tellement solides que je me suis pris une petite suée pour la remettre sur ses Metzeler. Mais elle a tenu bon et elle tient toujours bon la mémère.
Aujourd’hui, je roule sur une Yamaha Super Ténéré 1200 XTZ, au guidon étonnement toujours intact. J’ai bien fait vriller la fourche dans les tés une fois en essayant de faire remonter la roue avant de mon SUV de maxi-trail sur le trottoir après m’être tristement engagé entre deux voitures stationnées, avant de devoir constater que la voyageuse nipponne avait pris de l’embonpoint, à l’instar de son pilote. Mais ça, ça ne compte pas vraiment…
Alors bon, tordu or not tordu, je me tâte encore.
La classe, collègue stagiaire ! T’as trouvé ton créneau aussi, on dirait ! Un plaisir à lire, bravo !
Merci !
Mais avec le super maître de stage qu’on a, on n’a pas le droit de faire autrement…